Début du mois de septembre, interview organisée à partir d’un texto. Je retrouve Francesco Tristano, Aymeric Westrich et Rami Khalifé dans un café glauque de Simplon, interview décontractée et un peu fatiguée. La tête ailleurs, je n’avais pas pensé au fait qu’ils puissent parler français, j’avais donc tout préparé… en anglais. Eux non plus ne sont pas tout à fait là. Rencontre pas préparée et en fin de journée = pas une interview mais une discussion qui part tout azimut.
M : Je vous laisse vous présenter comme vous le souhaitez ?
Aymeric : Salut c’est Aufgang… et vous écoutez NRJ (rires). C’est la question la plus difficile que tu puisses nous poser en fait. Ca fait très longtemps qu’on se connaît. En fait j’étais avec Rami au conservatoire de Boulogne il y a quinze ans. Rami est parti à la Julliard School à New York où il a rencontré Francesco. Et moi je suis allé rendre visite à Rami et j’ai couché… (rires, Aymeric devient rouge écarlate) J’ai été avec Francesco heu… mais qu’est-ce que j’raconte !
M : …et tu as rencontré Francesco…
Aymeric : … oui et j’ai rencontré Francesco et… il était super sympa. Et… Aufgang est né de cette union ! (rires)
M : rapidement après votre rencontre ?
Aymeric : Non non… Cinq ans après je crois. On s’est connu en 2000 ou 1999.
Rami : Non j’ai rencontré Francesco en 2000 !
Francesco : Début 2001, avant les attentats.
Discussion pendant 5 minutes sur les dates, des gentils noms d’oiseaux volent.
M : Je ne pensais pas que la question était si difficile ! Donc il vous a fallu huit ans avant de sortir un album ?
Francesco, Rami, Aymeric en chœur : Peut-être / Oui / Non
Eclat de rire général, les gars on se reprend, c’est sérieux ! Francesco reprend le micro…
Francesco : Bon alors, Rami et moi jouions en duo au piano pendant pas mal de temps, en cherchant tout le temps de nouvelles influences, de nouvelles sonorités et collaborations. Et on a eu en 2005 la possibilité de monter un concert avec Rami au Sonar de Barcelone – qui est un peu le festival d’electro de référence. Et Rami a proposé de jouer avec Aymeric qui avait déjà joué avec lui et son père. Moi je connaissais très bien Aymeric mais je n’avais eu l’occasion de jouer avec lui alors qu’eux avaient joué en formation de jazz. Et donc en 2005, on s’est mis ensemble pendant une semaine et on a monté un show d’une heure en une semaine. C’était un peu le lancement du groupe quoi… mais on savait après ce concert qu’il fallait qu’on continue et… il se trouvait aussi que notre futur producteur était dans le public et il a dit « Bon les gars mettez-vous d’accord on enregistre un album ». Après ça a mis, non pas quatre ans mais deux ans et demi. A partir de l’enregistrement jusqu’à la sortie de l’album, il y a eu effectivement deux ans et demi de travail, de postproduction etc.
M : D’où ma question suivante, je me demandais comment est-ce que vous écriviez ces morceaux là, est-ce qu’il y en a un qui donne une ligne et les autres se calent dessus ou c’est vraiment un travail à trois ?
Aymeric : C’est moi qui fait tout… Réponds Francesco
Francesco : Non c’est pour toi
Aymeric : Rami t’es où ? Arrêtes tes mails !
Mince c’est reparti pour un tour, je vais peut-être arrêter de poser des questions en fait, je les dérange et ils ont l’air fatigués… Rami est tendu et fait des percussions avec ses index sur la table sans discontinuer.
Francesco : Ca varie, on a plusieurs façons de bosser ensemble. Mais déjà on vit dans trois villes différentes, c’est-à-dire Paris Beyrouth, Barcelone donc c’est vrai que sans l’email c’est compliqué. On travaille beaucoup en s’envoyant des fichiers. Parfois la base, c’est les pianos, c’est-à-dire qu’on écrit une idée basique, on la développe un peu, on l’enregistre en MIDI, on envoie les fichiers. Aymeric fait des bases rythmiques, des basses, des programmations des synthés, il les renvoie. On redéveloppe les pianos, etc, c’est une espèce de ping-pong à trois. Mais parfois l’idée principale vient d’Aymeric, il nous envoie une espèce de base de track, et sur ce Rami et moi développons des pianos par-dessus mais ça dépend. Mais c’est vrai qu’on se sert énormément de la technologie pour avancer dans le travail étant donné qu’on n’arrive pas encore à se téléporter et à être ensemble toutes les fois qu’on les désire.
Rami : C’est que Logic c’est magique aussi…
Aymeric : Logic c’est magique. C’est le logiciel de production et de composition qu’on utilise pour retravailler les morceaux. On a tous les trois le même pour que chacun puisse travailler et retoucher de son côté.
Francesco : Et puis il y a les moments où l’on retrouve principalement sur la péniche d’Aymeric pour avancer dans l’edit et vraiment concrétiser l’écriture des morceaux, décider des sons. Et après on se retrouve en studio pour mixer. Donc il y a aussi des moments où l’on bosse ensemble pratiquement 24h/24 et puis chacun repart à ses projets et voilà.
Rami : C’est bien d’avoir des projets alternatifs aussi car cela permet de donner un souffle à Aufgang. Parce que si on était que concentré sur Aufgang eh bien… Je pense qu’on a tous besoin de toucher à plein de choses et de pouvoir se retrouver au final pour avancer sur Aufgang. Non ?
Eclats de rire des deux acolytes qui se retenaient. Et c’est reparti pour des désaccords…
Francesco : Si on ne passe pas du temps uniquement sur Aufgang, c’est parce que ce projet n’est pas viable pour nous !
Rami : Si, on pourrait passer plus de temps sur Aufgang, ce n’est pas une question de viabilité mais de richesse culturelle, de pouvoir faire autre chose parce qu’on en a la capacité. On pourrait s’enfermer 6 mois et ne bosser que sur Aufgang, on ne mourrait pas de faim. Ce n’est pas une excuse. L’excuse pour moi c’est plutôt une envie d’explorer autre chose dans la musique.
Ok, tentons de reprendre les rênes…
M : Et si l’un habite Paris, l’autre Beyrouth et le troisième Barcelone, comment se fait) il que le nom du groupe soit allemand ?
Francesco : Bah parce que lui (Aymeric) il est français, lui (Rami) est libanais et moi je suis luxembourgeois.
M : Une triangulation qui ne tombe pas du tout sur l’Allemagne donc…
Francesco : du tout…
Aymeric : Sisi, si tu calcules… nan mais c’est un truc de francs-maçons, tu ne peux pas comprendre !
Francesco : Aufgang l’idée c’est celle de la montée, de monter en altitude. Le Sonnen Aufgang en allemand, c’est le lever du soleil. Pour nous cela se traduit en montée progressive vu qu’on aime la musique minimaliste qui consiste à répéter le même motif et à gagner en intensité et en puissance simplement par le fait de répéter, la montée se produit de façon naturelle.
Aymeric : maintenant tu dois sa chronique Titchee car elle avait exactement capté et traduit ça.
A mon tour de rougir comme une tomate, mais je suis contente de constater que je ne me suis pas plantée !
M : Rami tu as évoqué les influences musicales, dans ma chronique je comparais justement votre travail à l’expérimentation à laquelle a pu s’essayer Battles en plaçant la batterie au centre des morceaux, en transgressant les rôles classiques auxquels les instruments doivent s’astreindre. Vos pianos ne sont pas de simples outils, ils deviennent des partenaires dans la mesure où vous expérimentez beaucoup de choses avec, et ils occupent les différents postes du groupe, parfois ils sont centraux, parfois annexes… Quelles influences musicales vous ont marqué pour vous aider, à vous motiver pour façonner votre musique ?
Aymeric : C’est très intéressant cette idée que le piano se substitue à la batterie dans son motif répétitif et sa place pas forcément centrale dans les morceaux.
Rami : De toutes manières, nous ne voulions pas que les pianos soient des solistes dans Aufgang. D’ordinaire on prend le nom du pianiste pour nommer un trio ou un quatuor. Le piano est un instrument soliste par essence. Mais comme nous on est anti-pianistes, et anti-solistes, nous ce qui importe c’est l’atmosphère et le son.
Francesco : Mais c’est ce qu’elle dit, le piano n’est pas un accessoire mais un all-around instrument. On peut jouer des percussions dessus et dedans, on peut jouer des sons qui se rapprochent d’un synthé et qui sont complètement liés dans la programmation qui suit pour l’électronique. Et c’est intéressant car au Sonar en 2005, on avait partagé la scène avec Battles. J’ai entendu cette comparaison plusieurs fois, c’est peut-être pas stylistiquement mais comme nouvelle façon de concevoir comment fonctionne le groupe. Et c’est juste. Après nous on ne veut pas se fixer une formule, là c’est notre premier album dans le sens que déjà on a mis du temps à le produire, à nous focaliser sur la direction dans laquelle on voulait aller, mais il y aura d’autres projets. Le piano est un instrument tellement riche, qui offre tellement de possibilités qu’on va explorer plein d’autres choses. Et on a l’idée pour le prochain album de faire des choses encore plus expérimentales avec des quarts de tons, pousser le côté percussif, et pratiquement jouer de l’anti-piano, s’en servir comme de tout sauf un piano.
Rami : Un nouvel instrument.
Donc là, ils n’ont pas du tout répondu à a question mais c’était intéressant quand même…
M : Sans transition, parce que je n’en trouve pas, il y a au centre du disque un morceau qui marque une symétrie. Il est calme et mélancolique, il est dédié à quelqu’un qui était cher ou vous faites allusion à quelqu’un de connu mais je n’ai aucune culture ?
Aymeric : J’ai perdu un pote très cher en mars dernier et j’ai demandé aux copains à pouvoir lui dédier un titre. C’est un track qu’on avait déjà fait. Au départ j’avais choisi Soumission car Kévin c’était un surfeur toujours parti aux quatre coins du monde. Soumission pour moi c’était une plénitude avec une sorte de chaos complètement fou à la fin. C’était pas mal par rapport à sa personnalité mais je ne voulais pas changer le titre de Soumission donc j’ai choisi ce sans-titre qui semble écrit sur mesure alors que ce n’est pas le cas.
M : Vous avez des dates prévues ?
Francesco : On joue le 19 novembre au Café de la Danse et on bosse sur une tournée fin novembre.
On s’arrête là, mais j’avais oublié d’éteindre le micro. Aymeric est toujours en forme (“Le Pont des Artistes c’est une émission d’Europe 1 ça non ?”), Francesco trouve que Paris manque de vraies nuits et me propose ses services en DJ Set, Rami revient dans la conversation lorsqu’on rêve d’organiser un concert dans le parc de la place des Vosges histoire de secouer tous ces vieux riches…
Merci à Audrey (Discograph) qui a organisé cette rencontre au pied levé.
Cette interview ne sera pas diffusée sur Radio Campus Paris car Rami m’a gratifiée d’un concert de percussion de phalanges sur la table et de bip de mails reçus via son IPhone qui ne permettent pas d’exploiter les bandes. Pas de problèmes les gars, vous allez devoir vous y coller à nouveau ;) !
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